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STAGES
RESPIRATION HOLOTROPIQUE ET CHAMANISME 2024
1er - 3 mars passé
24 - 26 mai passé
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CONFÉRENCES
4 novembre - Conférence - "Comment être psy aujourd'hui?"
• En présentiel au Forum 104 à Paris de 19h30 à 21h45
• En ligne et en replay sur le site de L'observatoire du réel
PUBLICATIONS
Les fantômes familiaux : "Possession-dépossession"
« Toutes les histoires de tous les peuples sont symboliques ; en d’autres termes, l’histoire, ses événements et ses protagonistes, sont des allusions à une autre histoire cachée, les manifestations visibles d’une réalité occulte »
Octavio Paz
Certains patients, souffrant de phobies, dépressions, obsessions et troubles psychosomatiques, semblent être habités par des « entités défuntes ».
Les thérapies classiques se sont avérées impuissantes à les libérer de ces hantises persistantes.
Ils semblent bloqués dans leur évolution mais ne présentent aucun trouble dissociatif de type psychotique.
Le plus souvent, parfaitement insérés dans leur vie socioprofessionnelle, un nœud, cependant, existe, insaisissable, inatteignable et innommable. Ils se sentent immobilisés, étrangers à eux-mêmes, sans trouver les mots pour dire leurs maux. Cette absence sémantique quant au sens, handicapante dans la poursuite de leur vie personnelle, instille un vide intérieur impossible à combler, d’où souvent le recours à des substances palliatives et substitutives pour combler cette béance existentielle.
Ils ressentent une sorte d’errance intérieure non identifiable, diffuse, confuse, qui semble être celle d’un autre. Ils se sentent « multiples », dans un même corps. « Cette souffrance ne m’appartient pas », disent-ils souvent.
La parole manque à exprimer ce qui les traverse, un quelque chose est attaché à eux qui leur est étranger.
Les « fantômes » qui les habitent et circulent dans leur être sont souvent la persistance et le témoignage de l’existence d’un mort enterré en eux. Ces « survivants », par loyauté familiale inconsciente, hébergent les décédés qui les accompagnent, en une sorte de deuil interminable.
Les psychanalystes parleront d’un deuil impossible, voir même pathologique, et pourtant nous devons écouter avec une « troisième » oreille leurs symptômes et faire abstraction d’une lecture psycho-pathologique de la perte.
La psyché humaine nécessite d’être abordée sur un mode psychanalytique mais également transpersonnel. (1)
Le travail en état de conscience non ordinaire permet d’aller puiser en deçà et au-delà du moi conscient.
Nous reconstruisons un immense puzzle dont tous les morceaux épars, vont se rassembler en un tout devenu cohérent et surprenant !
Lorsque le dernier fragment est intégré à la globalité, la guérison surgit.
Parfois le processus est rapide mais il est le plus souvent lent et douloureux.
Cette descente labyrinthique dans la mémoire oubliée requiert du thérapeute une grande maîtrise clinique et un fort ancrage psycho-spirituel.
La lecture transpersonnelle et chamanique de ce type de mal être nous permet une thérapeutique élargie dotée d’outils thérapeutiques propres à recevoir, cerner et comprendre leur souffrance.
Les techniques de régression sous hypnose, la respiration holotropique, l’EMDR et le travail d’extraction chamanique nous offrent des outils d’exploration puissants à manier avec tact et prudence pour aider ces êtres démunis à retrouver désir, couleurs et joie de vivre. Enfin, ils peuvent redevenir maître de leur propre vie, sans injonction mortifère.
J’ai moi-même longuement résidé entre la France et la Californie où j’ai eu la chance extraordinaire de me former auprès de Stanislav Grof en respiration holotropique et auprès de Michael Harner pour les thérapies chamaniques.
Différents voyages au Mexique auprès d’une chamane mazatèque et de guérisseurs spirituels m’ont convaincue de la nécessité pour nous européens de reconnaître les limites de notre pensée occidentale et cartésienne. Un autre monde coexiste, le monde archétypal auquel nous pouvons avoir accès en état d’expansion de conscience. Le psychanalyste suisse C. G. Jung le nommait « l’inconscient collectif ». le philosophe Hermes Trismegiste écrivait dans la table d’Emeraude « Tout ce qui est en haut est comme tout ce qui est en bas », les écritures sacrées indiennes, les « Vedas » relatent avec clarté les relations du monde spirituel avec les vivants.
Tout communique dans une interconnexion totale, la séparativité n’existe pas, écrivent les nouveaux physiciens.
Je suis toujours vigilante dans la conduite de mon travail psychothérapeutique, tout dérapage excentrique pouvant être hautement néfaste pour le patient mais trente ans de pratique clinique en tant que psychanalyste m’ont toutefois enseigné que d’autres approches «impensables » pour des cliniciens français étaient exercées avec succès par des pairs dans d’autres pays… notamment aux Etats-Unis où sont nées les nouvelles thérapies… notamment celles traitant de la « possession ».
C’était il y a quinze ans… Je retranscris cette histoire extraordinaire :
Je revenais d’Hawaï, nourrie par un livre qui m’avait fortement interpellée et interrogée : « The Unquiet Dead (2) » (paru aux Etats-Unis en 1986).
Une psychologue clinicienne américaine connue et reconnue, Edith Fiore, y décrivait avec audace et courage comment, pour aider des patients atteints de troubles psychiques et psychosomatiques graves, elle s’était risquée au-delà des limites de la psychothérapie traditionnelle, impuissante alors à soulager la douleur de ses patients. Pratiquant les régressions sous hypnose sans induire de suggestion, elle entendait souvent ses consultants parler de possession ou d’esprits possessifs leur engendrant une souffrance qu’ils ne reconnaissaient pas comme étant la leur. L’expression commune « cette souffrance ne m’appartient pas » revenait telle un leitmotiv.
Ces sujets dont la personnalité leur apparaissait endossée par celle d’un(e) autre ne présentaient aucun trouble dissociatif de l’identité malgré leur grande détresse psychologique. Leur vie personnelle et socioprofessionnelle se poursuivait, cependant teintée d’une angoisse insupportable et permanente distillant des désirs suicidaires.
Les référents cliniques d’Edith Fiore ne lui permettaient pas de comprendre et d’intégrer ces manifestations dans un cadre théorique satisfaisant.
Ouverte aux questions métaphysiques, elle eut à sa disposition, d’autres outils de compréhension dont le « Livre tibétain des morts ».
« Dans l’expérience normale de la mort, l’esprit rejoint la Lumière en laissant le corps derrière lui. La Lumière, également appelé Lumière Blanche ou Clarté Lumineuse, semble représenter la présence divine. Certains livres décrivent également des cas particuliers d’esprits désincarnés qui restent liés à la terre et s’attachent à des personnes terrestres, sans que celles-ci soient conscientes de leur présence. Ces esprits se maintiennent ainsi sur le plan physique, à travers des personnes terrestres, causant souvent à ces dernières de graves problèmes, et même parfois la mort » (3).
Cette interprétation semblait étayer le vécu de ces patients égarés et expliquer leurs
symptômes. Edith Fiore partit de cette hypothèse pour modifier son écoute et reconsidérer son
cadre d’intervention clinique, au-delà de toute croyance ou adhésion, dans un but thérapeutique.
Elle travailla donc de façon concomitante avec le patient et la présence étrangère parasitaire, dans une perspective de dépossession. Ces « âmes désincarnées » errantes qui ont élu domicile dans un corps qui n’est pas le leur, souffrent également et restent bloquées, piégées sur un plan terrestre auquel elles n’appartiennent plus. Il s’agit donc de les aider à retrouver leur chemin et les aider à monter pour entrer dans le monde spirituel.
Moi-même, dans mon travail n’affirme ni n’infirme la réincarnation ou la « possession ». En aucun cas, je ne tranche de l’immortalité de l’âme ni ne défends une thérapeutique comme étant la plus
« performante ». J’ai à ma disposition une palette d’approches que je propose au patient en fonction de sa problématique et de son mal-être. La psychanalyse et son dispositif m’offrent une compréhension majeure de la psyché humaine et de ses couches inconscientes. Cependant, souvent dans une perspective abréactive, j’ai recours à des approches cathartiques travaillant à différents niveaux : psychodynamique et émotionnel, corporel et périnatal puis enfin transpersonnel. Les travaux de Stanislav Grof, psychiatre-psychanalyste américain d’origine tchèque et co-créateur de la psychologie transpersonnelle, résument cette prise en compte multidimensionnelle tant sur un plan théorico-clinique qu’expérientiel.
La respiration holotropique* est une méthode d'exploration de la vie psychique fondée sur une relaxation profonde, des techniques respiratoires contrôlées, des musiques évocatrices et porteuses. S’il est relativement nouveau dans les thérapies occidentales, ce principe est mis en pratique depuis des millénaires dans les procédures chamaniques et les rites de passage des sociétés traditionnelles. Enfin, un travail corporel au niveau de la cuirasse caractérielle (tensions et rigidités musculaires) complète la thérapie holotropique.
L’objectif principal de cette stratégie thérapeutique est d'activer le psychisme et de débloquer l'énergie emprisonnée dans des symptômes émotionnels et somatiques en un courant d'expériences dynamiques.
Synthèse de traditions spirituelles parfois très anciennes et de recherches les plus récentes sur les états modifiés de conscience, la respiration holotropique permet au sujet d'accéder à une vision unifiée de son être sur les plans physique, psychologique, mental et spirituel.
Son principe fondamental est la reconnaissance du potentiel curatif, transformateur et évolutif des états non ordinaires de conscience au cours duquel la psyché peut manifester une activité thérapeutique spontanée. C'est donc un voyage intérieur vers l'essence de soi, dans lequel nous découvrons et explorons la partie la plus archaïque de nous-mêmes. Cet état inhabituel de conscience permet le revécu d'expériences périnatales (rattachées à la naissance), biographiques et transpersonnelles (d'identification au cosmos) et surtout nous enseigne que les symptômes ne peuvent s’expliquer de façon pertinente par l’histoire post-natale du patient uniquement. Le bébé ne naît pas « tabula rasa » (table rase), il porte en lui toute une mémoire qui se réactualisera dans cet état non ordinaire de conscience permis par la respiration holotropique.
Cette approche psychothérapeutique, hautement mobilisatrice du corps et de la psyché active ou réactive des traces mnésiques (mémoires) sous formes de décharges émotionnelles et permet de renouer avec des représentations censurées par l’inconscient du sujet, donnant ainsi accès à l’inconscient corporel, réceptacle d’un savoir caché sur l’histoire archaïque. Le corps se souvient et porte des empreintes : c’est un lieu d’inscriptions primitives. Pendant une séance de respiration holotropique, il va, tel un rébus, exprimer sous formes de postures, de sons ou symptômes, le refoulement originaire jusqu’alors indicible ouvrant ainsi la possibilité d’énoncés signifiants.
Chaque session est suivie de la réalisation de dessins ou de mandalas et d'une verbalisation favorisant l'élaboration et l'intégration de l'expérience individuelle. Cette mise en paroles qui permet une réorganisation de la psyché et de la conscience est un moment essentiel du travail auquel elle donne du sens, un ordre et une cohérence. Des remaniements profonds s’opèrent et le sujet peut alors « advenir », aller vers lui-même et le monde.
La thérapie holotropique est une chevauchée immémoriale dans un espace sans clôture ; voyage lointain, itinéraire à la frontière du possible et de l’impossible. Entre cette expérience qui se vit et la conscience, le thérapeute doit être subtil et respectueux. Celui qui respire va au cours de son voyage intérieur franchir une barrière sensorielle. C’est la qualité d’écoute du clinicien à la dynamique des différents moments qui favorise la montée du refoulé.
En état de conscience modifiée, le sujet se libère de sa hantise et la régression lui révèle le dessous des cartes. Le revécu vient s’enkyster comme un épisode brut sans réactions de défense. Survient alors une facette de la réalité psychique à laquelle le patient n’aurait pu avoir accès en état de veille.
La thérapie holotropique situe l’homme dans sa totalité et lui ouvre le chemin de sa guérison et de sa créativité. Les découvertes théoriques et cliniques de GROF sont considérables. Elles appellent à une révision de quelques paradigmes fondamentaux de la psychologie et de la science en général.
Quinze jours après mon retour des Etats-Unis, j’animai un séminaire de respiration holotropique ; c’est alors que je rencontrai Annabella dont l’expérience illustra, dans une synchronicité parfaite, les recherches d’Edith Fiore.
Annabella arriva en retard, tout de noir vêtue, frigorifiée, timide et distante.
Adressée par sa psychothérapeute, familière de mon travail et de ses contre-indications (dissociations de type psychotique, grossesse et certaines pathologies organiques), j’ignorais pratiquement tout de cette jeune femme de 35 ans, célibataire, hâve, au corps d’anorexique.
Suivie depuis de nombreuses années, les différentes prises en charge tant psychologiques que chimiques avaient échoué à éradiquer sa dépression endémique. Son analyste lui suggéra de venir explorer en états d’expansion de conscience les strates de sa personnalité non accessibles en thérapie verbale. Annabella accepta, dans une « dernière » tentative de pouvoir trouver du sens à sa vie.
Lorsque le stage de respiration holotropique débuta, elle eut du mal à se nommer et dire la raison de sa présence. Elle trébuchait sur les mots, semblait mal à l’aise, en retrait, absente à elle-même, transparente. Sa voix, ténue et sourde, n’exprimait aucune sonorité, aucune musique. Annabella, dans une atonie totale, était spectrale, inexistante. Je me demandai intérieurement comment elle allait pouvoir se mettre en mouvement et exister dans le groupe.
Je ne l’avais jamais rencontrée et seule l’indication de sa thérapeute me signifiait qu’elle avait sa place ici.
Très interpellée, je décidai de faire confiance au processus et à mon intuition clinique.
Formée aux approches transpersonnelles et chamaniques, je sentais que notre rencontre avait un sens dont le fil se déroulerait peu à peu.
La séquence expérientielle débuta, la respiration hyperventilée accompagnée de musiques évocatrices la fit immédiatement entrer dans un état de conscience modifiée s’exprimant par une tétanie absolue de ses mains, comme sculptées dans la pierre.
Son visage reflétait une souffrance profonde, interrogatrice et énigmatique.
Je vins vers elle et restai quelques minutes à son chevet sans intervenir, à l’ "écoute de son corps“, dans le silence. Mon intervention demandait la plus grande prudence et la plus grande douceur.
Je mis alors une main sur son cœur afin de rentrer en communication avec elle. J’entendis en moi “mort de mère, peintre, naissance d’une petite sœur“. Ces mots, transmis de l’inconscient d’Annabella à mon propre inconscient, s’avéraient être des messages qui allaient me guider dans mon travail avec elle.
Je pris ses mains dans les miennes, exerçai des pressions afin de les détendre et l’invitai à exprimer des sons pour l’aider à libérer l’énergie encapsulée dans ses membres rigides.
Malgré mes tentatives répétées, la paralysie subsista et remonta vers sa bouche muselée.
J’imprimai des massages sur son visage. Un masque de mort semblait le recouvrir.
Puis soudain, son corps tout entier se fossilisa, paralysé dans une absence de vie totale.
Je compris très vite qu’Annabella hébergeait sa mère morte.
Le cadavre de celle-ci demeurait dans le corps placard de sa fille.
Je sentis la peur et l’impuissance de cette femme-enfant face à la perte de l’objet aimé.
Je la pris dans mes bras, petit oiseau blessé et déplumé, pour tenter de la réchauffer et la contenir.
Lorsque je la sentis rassurée par ma présence, je lui glissai dans l’oreille :
- Ta mère a-t-elle donné naissance à une petite sœur ?
Des hoquets de sanglots la ranimèrent et très vite, son corps se mit à trembler. Elle me dit en quelques mots que sa mère, morte en couche, avait donné naissance à une petite sœur mort-née.
Annabella avait quatre ans lorsque sa mère partit pour la maternité ; Très en osmose, elle pressentit qu’elle ne reverrait plus son sourire… En effet, il n’y eut pas de retour mais sa mère demeura à tout jamais enterrée en elle, comme accrochée par un cordon ombilical empoisonné.
Annabella était un « monument au mort ».
Orpheline, elle renonça à manger et à grandir et, par fidélité, décida qu’elle serait peintre comme sa mère défunte. Adulte, elle mit un bandeau sur sa propre vie de femme, inhabitée par le vivant mais hantée par l’énergie vampirique d’une disparue tant aimée. Toute son existence, vide de tout désir personnel jusqu’à ce jour, fut vouée au culte de l’idole, jusqu’à signer ses propres tableaux du nom de sa mère. La fusion se poursuivait post mortem dans une totale confusion identitaire. Sa main, lorsqu’elle peignait « était celle de sa mère sur la toile ». Le « je », pour elle devenu impossible, était celui d’« une autre ».
La fille « réincarnait » sa mère en un système clos.
Il me fallait donc œuvrer avec « cette autre » hébergée par sa fille.
Je restai un long moment auprès d’elle, dans un silence accueillant et nourricier, puis la confiai aux bras de sa partenaire (la respiration holotropique se pratique en binôme), lui proposant de travailler plus tard dans le groupe sur les identifications maternelles.
Il m’apparaissait clair qu’elle devait se reposer et prendre le temps d’intégrer ce qu’elle n’avait jamais pu aborder en thérapie traditionnelle.
Quand vint son tour de parole, lors du partage verbal, elle m’apparut recroquevillée, apeurée et exsangue, dénutrie et vide de mots.
Je l’invitai à venir rejoindre le centre du cercle groupal et à s’allonger sur un matelas lui expliquant que nous allions dialoguer alternativement avec sa mère et avec elle, pour les libérer toutes deux de leur emprise mutuelle. Je lui parlais des « Esprits possessifs », de ces âmes qui errent sur notre plan terrestre après avoir quitté leur corps et des vivants qui parfois les accueillent suite à un deuil non résolu. Elle m’écoutait avec attention comme si, pour la première fois, elle réalisait quelque chose pour elle-même. Elle semblait même boire mes paroles, substitut d’un lait soudain retrouvé. Une ouverture semblait se faire, sans danger pour elle.
Elle accepta mon invitation à reprendre son « voyage intérieur ».
Les autres participants, munis de leurs tambours, scandèrent des sons réguliers et répétitifs générant une matrice sonore telle un chœur antique protecteur pour élever la vibration du groupe. Je l’exhortai à respirer plus rapidement et laisser son corps s’exprimer ; très vite sa conscience se modifia et : j’entendis la voix d’une petite fille :
- Maman, je ne veux pas que tu partes, reviens, ne me quitte pas
- Où est ta maman ?
- Là, en moi, dans mes mains, dans mon ventre, partout, elle est partout
- Acceptes-tu que je parle à ta maman à travers toi ?
- Oui, mais je ne veux pas qu’elle ait mal
Je contactai donc la mère d’Annabella avec douceur et apprivoisement.
- Bonjour, je suis Martine, m’entendez-vous ?
- Oui, que me voulez-vous ? répondit-elle d’une voix suave et posée, mais faussement assurée, distincte de celle de sa fille.
- N’ayez pas peur. Je suis là pour vous aider à monter vers la lumière. Vous êtes morte en couche. Votre bébé n’a pu voir le jour et vous n’avez pu quitter Annabella, de crainte de l’abandonner. Vous demeurez accrochées l’une à l’autre sans comprendre, prisonnières et pétrifiées, dans un chevauchement de personnalités, puisque votre fille, à votre instar, est peintre... et signe de votre nom. Sans désir personnel, Anabella demeure figée dans un monde sans ouverture, quant à vous, vous tournez en rond, sans perspective évolutive. Souhaitez-vous que je vous aide ?
- Je ne veux pas abandonner ma fille, je dois l’élever, elle a besoin de moi tout comme j’ai besoin d’elle pour exprimer mes idées ; elle est trop petite. J’ai peur pour elle… Et puis je suis très bien avec elle !
Je m’adressai alors à Annabella :
- Pouvez-vous signifier à votre mère l’absolue nécessité pour vous deux qu’elle s’en aille ? Pouvez-vous lui dire : « Maman, tu dois partir là où tu es attendue ? "
- Oui, oui, oui. Maman, je n’en peux plus de cette vie. Laisse-moi, va-t-en, tu m’étouffes.
Annabella criait et s’animait, se colorait et se déployait. Cet être atone auparavant retrouvait un instinct de survie primale, animale, dans un corps à corps énergétique avec sa « mère vampire ».
L’atmosphère dans le groupe devenait surréelle et dramatique, d’un autre ordre. Nous touchions au sacré et au mystère.
Je revins vers la mère.
- Votre temps est terminé, vous n’avez plus l’adhésion d’Annabella dans cette coexistence corporelle. Vous êtes avec elle depuis Trente-et-un ans. C’est une femme adulte maintenant. Son existence et ses mains ne sont pas les vôtres, votre prénom n’est pas le sien… Vous avez perdu la vie mais… celle-ci ne s’interrompt pas, elle se poursuit après le décès, même si l’enveloppe corporelle meurt. Me comprenez-vous ?
- Oui
- Votre corps est mort mais pas votre essence. Percevez-vous que vous n’êtes plus dans votre corps mais dans celui d’Annabella ? Pouvez-vous voir son apparence ?
- Oui, elle ne me ressemble pas et puis... Elle est plus âgée.
- Plus âgée ? Que voulez-vous dire ? Quel âge aviez-vous quand vous êtes morte ?
- J’avais 28 ans, j’étais blonde avec des cheveux longs et bouclés -ma fille est très brune -. Les derniers jours de ma grossesse furent difficiles, j’allais mettre au monde mon bébé, en même temps Annabella me retenait, s’accrochait à moi ; ayant la prémonition d’un drame, elle ne pouvait se résigner à me laisser partir à l’hôpital. Après, je ne sais plus
- Retournez au moment où vous mourez, que se passe-t-il ?
Je vais compter jusqu’à trois
- Le médecin accoucheur déclare : « Elle est morte ». Je suis dans la salle d’accouchement, mon ventre est ouvert et je flotte au-dessus de mon corps. Il y a du sang partout et je vois le bébé mort. Il est bleu, tout petit, à côté de moi, c’est une fille. L’équipe médicale est affolée, impuissante, il y a beaucoup de bruit, beaucoup d’agitation. Le médecin se dirige vers la salle d’attente où fume mon mari inquiet. Je le vois s’effondrer et rentrer à la maison. Je peux le suivre, le toucher, je le vois mais lui, il ne me voit pas, il ne sent pas mon bras sur le sien. Quand il retrouve Annabella, il lui annonce la terrible nouvelle ; en proie à la panique, elle pousse un cri terrible, je lui parle pour la calmer et lui jure que je ne la quitterai jamais. Depuis lors, nous ne nous sommes plus quittées.
Peu à peu une compréhension nouvelle se tissait, la voix de la mère s’apaisait et se posait, la parole se débâillonnait et les mots s’organisaient, cohérents ; une direction commençait à émerger et je percevais un espace de liberté et d’ouverture se créer entre la mère et sa fille.
- Comment vous sentez-vous ?
- Fatiguée et lasse, je n’en peux plus, je veux partir
Je m’adressai alors à elles deux :
- Etes-vous d’accord pour mutuellement vous délier ? L’amour demeurera, mais vous serez libres, libres d’évoluer, libres d’aimer, libres de créer, chacune sur des plans différents.
Annabella, ta maman a besoin d’être libérée pour son évolution spirituelle, elle doit monter vers la lumière. En toi, elle est prisonnière et ton corps est devenu comme un tombeau. Vous êtes otage l’une de l’autre.
Elles répondirent affirmativement et je leur proposai de se reposer.
Je m’apprêtai intérieurement à les aider à se séparer et choisis le sublime prologue de « La Passion selon Saint-Jean » de J. S Bach pour « ritualiser », dans l’unité et l’intériorité, ce moment grave et solennel.
Annabella semblait totalement absorbée, disponible, comme pour un rendez-vous qui marquerait l’essentiel pour elle. Elle respirait le calme et le lâcher prise.
J’appelai sa mère pour rétablir un contact physique et lui proposai de suivre ma voix et ce qu’elle lui dirait comme un chemin que je lui dessinais pour la guider vers sa « maison ».
- Détendez progressivement « votre » corps (j’en nommai les parties), respirez doucement, je vais vous guider vers la lumière et ceux qui vous attendent. je lui demandai qui, parmi ses ancêtres, avait représenté une figure emblématique, elle me répondit :
- Mon grand-père maternel .
Je lui ouvris la route, elle était attendue. Un cercle de lumière l’accueillit au milieu duquel l’attendait son grand-père.
Je lui dis adieu et sa fille, à la fin de leur route commune, prononça ces mots d’accompagnement :
- Va en paix, maman, je t’aime
La « dépossession » s’était déroulée sans heurt ni opposition, dans une adhésion des deux protagonistes.
Peu à peu, Annabella revint à la réalité ordinaire. Je lui demandai si sa mère était partie.
- Oui, je me sens moi-même, libre pour la première fois mais… fatiguée !
Elle était rose et pleine, vivante, interloquée cependant !
Je ne la revis jamais et pourtant souvent je pensais à celle qui me permit de mettre en pratique un livre que je lus comme un roman et qui à première lecture me semblait relever de la science-fiction.
Il y a quatre ans, je reçus un appel. Une femme dont je ne reconnaissais pas la voix me demanda si je me souvenais d’elle.
C’était Annabella qui me remerciait pour me dire qu’elle avait abandonné la peinture pour la kynésiologie. Elle vivait en couple une sexualité harmonieuse et la maternité ne la menaçant plus, elle se préparait à « faire un bébé ». Bien entendu, l’anorexie disparut, dit-elle, avec l’envol de sa mère.
Son appel me troubla et m’émut :
« Elle avait récupéré ses facultés d'agir et de jouir de l'existence » Freud
Dans ce travail sur l’ici et l’ailleurs, mon intervention s’est située autour du rôle du passeur, dans une perspective de compagnonnage, dans un concert à trois voix : celles d’Annabella et de sa mère, puis enfin la mienne qui fonctionnait comme un enveloppement.
Dans les sociétés « traditionnelles » dites « holistes », l’efficacité symbolique est une énergie de restauration dans sa fonction thérapeutique.
Ainsi, ai-je pu redonner à l’ « acte rituel » toute sa portée sémantique et toute sa fonction créatrice dans l’ordonnancement de ce « passage » par la parole.
Comme l’écrit Claude Lévi-Strauss :
" Le chamane fournit à sa malade un langage dans lequel peuvent s’exprimer immédiatement des états informulés et autrement informulables ".
Nous étions dans une histoire signifiante pour Annabella, j’ai œuvré avec un mode d’emploi autre, « dans une perspective de bricolage» pour reprendre le terme de Levi-Strauss, dans une parole sans frontière avec la « Surnature » et le « Contre Monde ».
Ma fonction dans cette histoire n’était-elle pas de lui donner un sens pour rendre pensable un « malheur » refoulé, aliénant, par toute sa cohorte de symptômes jusque là inatteignables. Jamais, dans ses psychothérapies et psychanalyse, Annabella n’avait pu parler de cette période funeste mais déterminante.
Le psychanalyste François Perrier écrivait : « Le dogme rend sourd », Freud enseignait à ses élèves : « La théorie, ça n’empêche pas d’exister ».
L’orthodoxie dogmatique et réductrice souvent emprisonne le clinicien tant sur le plan théorique que dans sa praxis. Afin de contrebalancer cette clôture et demeurer dans l’expérience de la présence et de l’écoute, l’analyste n’est-il pas conduit à innover, à « bricoler », à recréer, face notamment aux nouvelles pathologies que sont les « états
limites » ?
Etre dans une puissance du « vivant », ouvert à des approches autres, non nécessairement gravées dans les textes fondateurs, n’est-ce pas permettre au patient de s’inscrire dans le mouvement de la vie ?
Si nous prêtons un autre regard aux écrits de Freud, nous y percevons très souvent des doutes, des reprises, des réélaborations, des remaniements, des renoncements.
Ce qui lui apparaissait, dans un premier temps, comme une évidence, devenait obsolète. Il lui fallait toujours conquérir des terres sur les mers.
Dans sa correspondance avec Romain Rolland en 1930, il reconnaît que l’intuition mystique peut apporter des éléments très précieux pour une embryologie de l’âme :
« Je ne suis pas sceptique; je suis tout à fait sûr d’une chose, c’est qu’il existe absolument certains faits que nous ne pouvons connaître actuellement ».
Le psychanalyste André Green écrit : « D’où viennent donc les esprits et pourquoi troublent-ils la vie des individus et du groupe ? »
Les esprits viennent d’un autre monde. Il existe un ailleurs au-delà des simple données qui vient perturber les règles établies. Les chamanes l’ont bien compris puisqu’ils « attaquent de front le désordre et la transgression, les provoquent et les agissent. »
Etre thérapeute, n’est-ce pas exercer un art “ vraiment pur au service du divin ”... en l’homme ?
Chez Socrate, rapporte Platon, la “thérapie” procède du service aux dieux, et l’âme est le réservoir de l’être. En pénétrant ses mystères, nous favorisons l’éclosion de la vie.
Mais le “Soin de l’âme”, travail provocateur au sens alchimique, requiert un courage véritable sans lequel nous ne pourrions explorer les zones les plus obscures de notre être, lesquelles laissent apparaître des images que l’on souhaiterait ne pas voir.
Et pourtant là où s’engendre le travail le plus douloureux réside l’essence de notre âme en ce qu'elle a de plus personnel.
“ L’art dans son ensemble, n’est pas une création sans but de choses qui se dissolvent dans le vide, mais une force qui tend vers un but et doit servir à développer et affiner l’âme humaine, participer au mouvement du Triangle. Il est le langage qui, dans sa forme particulière, parle à l’âme des choses qui constituent son pain quotidien et qu’elle ne peut recevoir que sous cette forme. L’art se dérobe-t-il à cette tâche, rien ne saurait combler le vide de cette absence, car il n’existe aucune autre puissance capable de le remplacer ”. Kandinsky
Martine Gercault
Psychanalyste-psychothérapeute
(1) Terme créé par le psychanalyste C. G. Jung, de l’allemand « uberpersonlich » littéralement : qui va au-delà de la personne
(2) et (3) Traduit en français : « Les esprits possessifs » une psychothérapeute traite la possession Editions Pierre d’Angle 1996
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